Une nuit comme celle de demain
ft. @Seo Liam  
Déambulant dans le quartier de Khao San Road, considéré comme une zone très fréquentée par les voyageurs, je faisais une petite marche avant de rentrer chez moi. En ce mois de juin, la chaleur était étouffante même si le soleil était parti se coucher. Évidemment, la température était plus abordable qu'en journée, mais tout de même, elle restait assez haute. Il était environ deux heures du matin et j’avais terminé mes heures de boulot. N’ayant plus de clients sur la liste, je pouvais retourner au bercail et me reposer avant de reprendre mon autre travail à neuf heures. Contrairement à d’autres, je n’étais pas particulièrement pressé de rentrer dans mon taudis, car je n’avais aucune fenêtre et c’était tout petit. Il faisait une chaleur atroce tellement qu’il était plus supportable de dormir dehors.

Une sucette dans la bouche, je m'arrêtais devant le 99 Guesthouse, plus précisément au niveau des buissons pour pisser. Secouant mon engin afin d’être certain de ne pas laisser une seule goutte se mélanger avec le tissu de mon sous-vêtement, je crachais le bâton de sucette dans la poubelle jusqu’à côté. Panier !
Rhabillé, j’allais pour reprendre mon chemin, quand tout à coup, je me fis tirer par-derrière. Une troupe de mecs prit son malin plaisir à jouer avec moi pendant une dizaine de minutes, qui me semblaient être une heure. Ils me rouèrent de coups, m’insultèrent de pédale et toutes sortes d’insultes infâmes pour me dégrader au possible. Trop faible pour me défendre contre tous, je me mis en boule pour limiter les choques et surtout, je protégeais au maximum le visage. Puis, les coups s’interrompèrent. Les hommes autour de moi se mirent à bafouiller des choses que je ne parvenais pas à comprendre parce que j’étais trop sonné.

Ma tête lourde et ensanglantée, je n’avais pas compris ce qu’il s’était déroulé. Se faisant sans bruit, l’atmosphère semblait avoir pris un tout autre tournant. En posant ma main contre le bitume, je tentais de me redresser légèrement dans le but de refaire surface et savoir si oui ou non, ils étaient partis. Effectivement, il n’y avait plus personnes. Par contre, une autre personne se tenait non loin de moi. Ne l’ayant pas reconnu par l’obscurité dans laquelle elle se trouvait, je montrais mes respects à celle-ci en parlant avec peine. “Merci pour votre aide Pi.” Tout ce que je pouvais entrevoir, c’était qu’il s’agissait d’un homme.

Une nuit comme celle de demain
ft. @Phunsawat Metawin  
Sortant d’un bar sur le point de fermer, la démarche un peu chancelante après avoir tant bu, je prends la direction de ce que je crois être mon chez moi. Du moins ce que je peux considérer comme tel en ce moment. De toute façon, je n’ai pas besoin de grand-chose pour vivre car je ne vis plus depuis longtemps. Je survis comme ombre, essayant de me reconstruire tout en me détruisant de toutes les manières possibles et imaginables. Cela dit, je n’ai pas l’alcool triste ce soir. Je me sens même bien mais c’est la raison pour laquelle je bois autant et que je prends autant de drogue. Pour oublier qui je suis, pour oublier mes malheurs et juste pour ne plus rien sentir en dehors d’une plénitude et d’une euphorie.

Tournant à l’angle d’une rue, des bruits attirent mon attention. Je devrais passer mon chemin et ne pas me mêler des affaires des autres mais c’est plus fort que moi. Et puis je ne supporte pas qu’on s’en prenne à des plus faibles, ni qu’on s’en prenne à des gens pour des raisons aussi débiles que celle que j’entends.
« Hé ! »
Pas de réponse. Ils sont trop occupés à s’en donner à cœur joie sur ce pauvre gamin. Ouvrant la bouteille de whisky que j’avais emporté avec moi, j’en termine le fond d’un trait avant de la balancer en m’écriant :
« Putain ! Vous allez arrêter vos conneries ? »
L’un d’eux fini par s’intéresser à moi et pense pouvoir m’en coller une parce que je titube. J’encaisse son coup, me disant que décidément, la tapette c’est plutôt lui vu comment il cogne. Esquissant un petit rire, je lui rends son coup dont la force semble le surprendre au point qu’il perde l’équilibre. Il n’en faut pas plus à ses petits copains pour s’intéresser à moi mais je les stoppe net en sortant mon flingue. Finalement ont sont moins cons que je ne le pensais car ils comprennent très vite qu’on ne joue pas dans la même cour.

Dès qu’ils sont partis avec la queue entre les jambes, je range mon flingue et m’approche du gosse salement amoché. Ce dernier semble conscient et me remercie, ce qui prouve qu’il a encore toute sa tête. C’est un bon début. J’allume une clope tout en me rapprochant un peu plus de lui et m’accroupis avant d’attraper son menton pour mieux examiner son visage.
« Ils ne t’ont pas loupé. »
D’ailleurs maintenant qu’il se tient si près de moi, son visage me dit quelque chose.
« Toi là, on s’est déjà vu, non ? »
Oui l’alcool et la drogue, ça ne me réussi pas niveau mémoire des visages mais c’est parce que mon instinct de survie ne retient que ceux qui essaient de me tuer.

Une nuit comme celle de demain
ft. @Seo Liam  
Tout juste, je venais de remercier la personne qui était venue me sortir de cette merde. Jusqu’ici, je n’avais pas vu son visage, car la douleur des coups et la crainte d’en recevoir d’autres me tenaient sur le sol, totalement renfermé sur moi-même. La main de l’homme encore inconnu attrapa mon menton afin d’examiner l’état de ma figure. Il commenta celle-ci et j’ouvris enfin correctement les yeux pour prendre connaissance de son identité. Surpris, ma bouche s’entrouvrit. La personne qui venait de m’aider était un mec qui avait bossé peu de temps avant avec moi au garage. Il avait besoin de se faire de la tune sur le moment et mon patron avait besoin de mains supplémentaires pour achever toutes les commandes à temps. L’été ayant démarré depuis plusieurs jours, les gens sortaient plus, faisaient plus la fête aussi et les accidents augmentaient. Ce n’était pas pour déplaire à mon patron.
Avec la bouche en sang et qui me faisait un mal de chien, je lui affirmais le fait qu’on se connaissait en lui donnant mon prénom et le job qui nous avait relié à une époque. “ J’suis le mécano, Metawin. " Peut-être qu’avec cette description, il ne mettrait pas de souvenirs dessus. Il m’avait peut-être complètement zappé.

Difficilement, j’essayais de me relever. Je ressentais une forte douleur à presque chacun de mes mouvements. Alors, avec une grimace permanente sur la gueule, je parvins enfin à me redresser, sauf que mes jambes me lâchèrent et je me rattrapais sur l’homme. Mes mains se posèrent sur ses pectoraux et aussitôt, un volume important creusa la paume de mes mains. Halluciné par la grosseur des muscles, je palpais la partie du corps en me disant qu’ils ressemblaient presque à des seins de femmes. Puis, me rendant compte de mon geste, je trouvais la force dans le but de m’écarter de lui de quelques pas tout en titubant presque comme un ivrogne qui perçoit le monde à l’envers. “ Je t’en dois une Pi. ” Le bras levé vers lui et retombé aussitôt, j’arquais le sourcil le plus défoncé. J’étais étourdi par les coups et le sang qui coulait. “ J’peux avoir une clope ? ” Il faut savoir que je n’avais jamais de clope avec moi. Je ne me considérais pas comme fumeur, cependant, il m’arrivait fréquemment de glisser une des cigarettes de mon voisin dans ma poche, pour la griller plus tard. Là, j’en avais envie pour consumer ma belle vie de chiotte.

Une nuit comme celle de demain
ft. @Phunsawat Metawin  
Lui aussi me connais et je le vois à l’expression de son visage. D’ailleurs il ne tarde pas à m’aider à le resituer. Metawin ! Mais oui ! c’est ce petit mécano avec qui j’ai bossé il n’y a pas si longtemps ! J’aurais dû m’en souvenir mais que voulez-vous ? Il y a tellement de va et vient dans ma vie que j’ai parfois du mal à me souvenir de tout le monde, surtout des gens qui ne cherchent pas à me tuer. En plus, j’ai pas mal bu ce soir et mon cerveau est encore un peu assommé malgré le coup que je me suis pris tout à l’heure. Il en faut plus pour m’éveiller complètement ou pour me mettre KO. Par contre, ils n’ont pas loupé le gamin qui peine à se relever. Il essaie sans succès et me tombe littéralement dans les bras avant de s’écarter un peu brusquement tout en me remerciant.
« T’inquiète pas pour ça. »
Je n’attends pas à ce qu’il règle son ardoise. Il ne m’a jamais demandé d’aide. C’est moi qui ai voulu lui porter secours. Coinçant ma cigarette entre mes lèvres, je sors mon paquet et mon briquet avant de les lui tendre. Une fois les mains libérées, je passe un bras autour de ses épaules et lui dis :
« Viens avec moi. T’as besoin d’un verre et qu’on te rafistole. Sinon comment tu comptes aller bosser demain, hein ? »
Il a de la chance je connais une nana dans le coin qui nous laissera dormir sur son canapé pour le reste de la nuit et une partie de la matinée. Je l’ai tiré des griffes d’un client violent il y a quelques temps et elle aussi m’en doit une, si on peut dire ça comme ça.

Une nuit comme celle de demain
ft. @Seo Liam  
L’homme semblait ne pas demander un remboursement de son acte de bravoure. Heureusement pour moi, car l’argent n’était pas ce qui débordait de mes poches. Pauvre, j’aurais pu lui proposer de réparer gratuitement son véhicule s’il en avait un ou lui offrir un service buccal… J’avais l’impression d’avoir une dette envers lui, alors je la réglerai d’une manière ou d’une autre.

Après la demande d’une cigarette, celui-ci s’en servit une avant de tendre son paquet et un briquet. En hochant le visage pour le remercier discrètement, j'en enlevais une de la petite boîte en carton pour l’apporter aussitôt au bord de mes lèvres. Avec le briquet, je cramais le bout du cylindre pour me permettre de tirer longuement une première latte et de rendre les biens de l’homme.
L’abondante fumée s’échappant de ma bouche défoncée se mêlait parfois à mes prunelles mutilées. Et pendant que mes yeux rougissaient dus à la douleur, son bras engloba l’arrière de ma tête.

Les yeux fermés et malmenés, mon corps se laissa entraîner par sa poigne. “ T’as raison. ” Au boulot, après ou pendant, peu importait le moment, il m’arrivait de me faire défoncer par mon patron. Il avait une bonne droite le connard. Ma condition tragique et emprisonnée à une dette m’empêchait d’agir sur lui. La bouche scellait, je subissais la douleur sans broncher dans le but de gagner encore quelques billets. Ce train quotidien, je l’avais depuis un certain moment même si j’étais mineur, j’avais rapidement besoin d’argent pour survivre.

N’ayant pas une goutte d’alcool dans le sang, je m’apercevais que notre démarche n’était pas très adroite. Puis, me concentrant sur son odeur, je sentis l’alcool émanant de sa bouche et de ses vêtements. Alors, nous étions tous deux amochés. Sur la route à peine inaugurée, je gardais un œil fermé, car du sang coulait dessus et je n’avais pas envie d’avoir le globe aveuglé par ce liquide chaud et épais. “ Tu bosses où maintenant ? ” La route pouvait être longue, alors je le questionnais sur son travail actuel ne l’ayant pas recroisé depuis son départ du garage.  

Une nuit comme celle de demain
ft. @Phunsawat Metawin  
Où est-ce que je travaille en ce moment ? Sa question me fait sourire et ma réponse est très simple :
« Ici et là. »
Ce n’est pas tant que je ne veux pas lui répondre, c’est juste que je ne sais pas quoi lui dire. J’accepte tous les jobs qui s’offrent à moi. Tous plus ou moins légaux. J’ai une formation de garagiste et je sais que je devrais me contenter de bricoler des voitures ou d’accepter n’importe travail honnête qu’on veut bien me donner malheureusement je traine également derrière moi un passé de tueur pour la mafia coréenne. J’ai beau chercher l’anonymat à Bangkok, même ici ma réputation m’a rattrapé et il n’est pas rare qu’on me confie certains petits boulots dont il vaut mieux que je ne parle pas avec lui. Je n’ai pas envie de l’effrayer ni qu’il sache que je suis plus qu’un junkie et un alcoolique. Non, je suis pire que ça. Je suis un assassin et quoi que je fasse, je resterais hanté par ce que j’ai pu être en Corée.
« Regarde ! Elle est là ! »
Je lui montre d’un mouvement de la tête un groupe de prostituée au coin d’une rue.
« Reste-là. »
Je le lâche un moment puis me dirige vers les demoiselles avec qui j’échange quelques mots. J’ai toujours eu le contact facile avec les dames. C’est que je sais leur parler et leur montrer du respect. Je suis un gentil garçon dans le fond malgré le sang qui macule mes mains.

Quelques minutes plus tard, je reviens vers Win avec une clé et lui fait signe de me suivre jusqu’à un immeuble non loin de là. C’est pas le grand luxe mais c’est déjà mieux que rien. Ça sent la pisse dans les escaliers et l’éclairage est en rade mais en se soutenant mutuellement j’arrive à le guider jusqu’au deuxième étage. Je compte trois portes puis on arrive devant le petit appartement de Mei, la nana qui me doit un service et qui m’a filé un double de chez elle pour quelques heures. Elle a confiance en moi et elle sait que j’abuserais jamais.

Après avoir poussé la porte, je me déchausse et lui dit :
« Installe-toi dans la cuisine, j’arrive avec la trousse de secours. »
Si j’arrive à lui mettre la main dessus mais je sais qu’elle en a une quelque part.